Rencontre avec deux poétesses chinoises
Nouvelle collaboration avec la Maison de la poésie de Rennes à l’occasion du 20e printemps de la poésie, pour le festival Polyphonies organisé à Rennes, avec l’accueil de deux poétesses chinoises et de la traductrice Chantal Chen-Andro.
Lecture bilingue et rencontre
samedi 17 mars, 15h, Péniche Spectacle (1 quai Saint-Cyr)
entrée libre, réservation conseillée au 02 99 51 33 32
Xiao Xiao 潇潇
Xiao Xiao, poétesse et peintre, est née dans la province du Sichuan dans les années 1960. Ses premiers poèmes sont publiés en 1983. Elle édite en 1993 la série d’ouvrages Chroniques de la poésie modernechinoise. Parmi ses principaux ouvrages, on peut mentionner le long poème « Elégie pour un autre monde », considéré comme une œuvre emblématique de la poésie féminine chinoise des années 1990.
Elle a obtenu de nombreux prix, dont récemment le prix Wen Yiduo, le prix « Jeunesse Moderne », etc.
Ses écrits sont traduits dans de nombreuses langues, dont le français. Elle vit aujourd’hui à Pékin.
Zheng Xiaoqiong 郑小琼
Zheng Xiaoqiong, poétesse-ouvrière, est née dans la campagne du Sichuan en 1980, et a quitté sa province pour trouver un emploi dans les usines de Dongguan en 2001. Elle a commencé à écrire de la poésie durant les six années où elle a travaillé dans une usine de pièces informatiques.
A la surprise générale, elle a décroché en 2007 le prix littéraire décerné par Littérature du peuple.
Elle se distingue par son « esthétique du fer », une métaphore qui renvoie à la dureté d’une vie froide et sans merci.
Extraits
Traduction : Chantal Chen-Andro – tous droits réservés
Xiao Xiao
Vivre jusqu’à ce jour
à la mémoire des âmes des martyrs d’Auschwitz
à la mémoire des âmes de tous ceux morts sous la violence
vivre jusqu’à ce jour, une vie absente
la pierre a aspiré sa part d’eau
le criminel toujours en un sens se lève et se couche avec le soleil
l’air déploie ses grosses lèvres assoiffées
retient toute chose vivante
dans sa bouche, les ingurgite jusqu’à leur extinction
dans l’ivresse, s’abandonner est le meilleur remède
l’illusion du passé est venue de loin
un monde poreux s’ouvre
isolé, archipel du Goulag coupé du monde
telle en mars la floraison, révélant
les visages transfigurés par la mort
quand la cheminée, cette narine barbare
aspire à fond fumées et poussières des corps incinérés
la vérité sous le rocher, les dents de la mer usées par les intempéries
jour après jour s’effritent
des vies innocentes subissent l’avortement
énorme piège______ la vie
je suis allée au bout de la souffrance, me suis cramponnée à la vie
mais eux sont morts, morts
et sur les morceaux de pierre tendre
un plus grand éléphant est tapi
les rêves en plein jour bougent mais sans pouvoir faire de bruit
de la tête aux pieds, le regard insomniaque
comme le fantôme de l’amour
est blessé aux mains et aux pieds par des chaînes de fer
que l’on ne peut plus ouvrir
ces jours fallacieux
sont plus incertains que la danse de la nuit, plus douloureux
ils appellent, appellent ! Même si l’errance
est un état plus pauvre que celui de mendiant,
ne pouvant même prévoir une vie misérable,
ma gorge étroite peut, comme les langues frénétiques des flammes
lancer des appels
1991
Coucou
—— à ma chère petite sœur
le moment le plus douloureux
imaginer un coucou volant vers les lointains
âme qui doucement se pose en haut d’une falaise
les ailes déployées
sont pourvues de lèvres sensibles, dangereuses
la chaleur brûlante tire la langue
Notre respiration se fait plus difficile au fil des saisons
mais les cendres du cœur finissent par tomber dans la poussière
pour y passer la fin de la vie
au loin, le coucou se déplace vers le vent
la robe accrochée à l’arbre flotte vide
un espace entr’ouvert
la tendance d’une feuille est poignante
quand la gueule du fusil en attente soudain se dérobe
le cœur d’une subtilité exquise, les ongles, ces masques vitaux
se séparent du corps
qui frappe à la porte
cette maison subissant une attaque surprise
Au lieu profond où s’ouvre la fleur de grenade
cet après-midi, un instant imaginé
les grenades sont mûres, partout sur les branches
nous chuchotons, gardant une distance réelle
le lac du Tonnerre s’échappe du champ de vision
le dessein du Ciel sera révélé par les vies antérieures
la pluie d’orage soudain s ‘abat
perdure tout au long de l’après-midi
comme si elle perçait à jour toute chose
sur nos visages sereins
le danger partout se terre
et ce cœur que touche une sourde douleur
au lieu profond où s’ouvre la fleur de grenade, sans bruit se brise
1990
Zheng Xiaoqiong
La machine
Cette machine affamée qui chaque jour avale fer, plans
astres, rosée, sueur salée, se lave les dents à répétition
recrachant profits, billets, bars… elle voit le doigt sectionné
les salaires dus, les maladies professionnelles de l’ombre, la mémoire si amère
la nuit si vaste, tant de gens vivant sur la ferraille
couverts de pauvres dettes, debout sur ce fer humide et froid
marchant dans la douleur, quel amour pourrait contrebalancer tout ce fer
le cœur de ce bas monde est aussi dur que fer, vie de travail faite de froideur et d’amertume
elle ne sait quand la clarté des étoiles, les ténèbres et ces choses pourvues d’ombre
vont se dépouiller enfin, dévoiler le cœur sensible et faible
l’énorme machine dans son dos, ses grondements tristes et secrets
font penser à l’amour, à la haine, à la douleur, au clair de lune secret dans le fer
développant les fils conducteurs de la vie, elle est prise d’enrouement, se fait vieille
ses artères usées baignent dans la rouille du temps
le destin est comme deux petites mains douces sur la machine rigide
la vie tranquille ses flammes bleues éclairent ton visage las
Europe n° 1003-1004, nov-dec 2012, p.293-294
Nouvelle poésie chinoise : une poésie en quête du réel.
Outils en fer
Gris
un énorme lingot d’acier passe sur son rêve vert
en un fracas tonitruant agite
les tôles incurvées, les lueurs du couchant sur les machines
ses omoplates haussent un après-midi désert
ce rêve vert de grossesse qui fut le sien
filtre de la ferraille grise fumante
de ces pièces de fer innombrables pliées sous le lingot
elle se voit, bloc de fer parmi les autres, extrudée,
infléchie, formée au gré de la machine qui la travaille
dans le mouvement circulaire des écrous
dans les entrelacs du bruit et de la lumière
par la vie sans cesse tournée, abrasée, écartelée, fraisée
elle ne peut repousser cette immense force extérieure qui la chauffe, la forge
enfin, elle se voit estampillée par le disque en acier brûlant :
« conforme » !
Europe n° 1003-1004, nov-dec 2012, p.293-294
Nouvelle poésie chinoise : une poésie en quête du réel.
Eux
Je me souviens de ces fers, rouillés par le temps
rouge léger ou marron foncé, larmes dans le feu
je me souviens à coté des machines des regards vagues et las
des prunelles insignifiantes, minuscules, comme le feu qui va mourant
de leur mélancolie, de leur affliction, avec encore un peu, un si petit peu d’espoir
avivé par les lueurs du feu, se déployant sur la blancheur du papier à dessins
ou entre les traits rouges du crayon à marquer, proche du maigre salaire mensuel
et d’un cœur un peu plus épuisé chaque jour…
Je me souviens de leurs visages, leurs regards troubles, de leurs infimes tremblements
De leurs doigts calleux, de leur vie simple et fruste
Je dis tout bas : ils sont moi, je suis eux
Notre tristesse, nos souffrances, nos espoirs sont silencieux, contenus
nos épanchements, notre être intime, nos amours tous versent des larmes
ont le mutisme et la solitude du fer, ou sa douleur
je le dis, au sein de cette grande foule, nous sommes identiques
ayant amours, haines, respirations, ayant un cœur noble
ayant solitude et compassion d’acier
(inédit)
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